Bâle: Martin Rechberger

Un agent de PBI très spécial

Martin Rechberger est un élément capital de l’architecture du marché noir russe de L’Oréal.

Le cœur de sa mission : laisser des marges en Suisse138 .

  • Sa société, Parbeauté SA, constituée le 11 novembre 1994 à Binningen (canton de Bâle-Campagne, Suisse), avait l’exclusivité de PBI pour deux zones franches, Samnaum dans le canton des Grisons (Suisse), où Parbeauté a ouvert une succursale en janvier 1995 ; Livigno en Italie, à la frontière avec les Grisons, où la succursale Parbeauté Italia SRL a été constituée en 1996.
  • En novembre 1996, sa société offshore à Chypre, Research and Development Services, a été associée au marché noir russe « ponctuel » (filière Georgantas) organisé dans l’urgence pour que PBI puisse combler son retard de chiffre d’affaires sur l’année.

« Des gens qui ne passent pas pour des parangons de vertu »

Dans son rapport à Serge Guisset du 3 avril 1997, « Risque de diversion Moyen-Orient », Guillaume Sanchez, directeur de la protection des marchés de PBI, écrivait :

Il [Vladimir Nekrasov] est associé à des gens qui ne passent pas pour des parangons de vertu, C. Kawiak et surtout Martin Rechberger. Ce dernier, déjà connu pour ses opérations discutables sur Livigno et Samnaun, s’est d’ailleurs signalé début 1997 de la façon suivante :

Nous livrons une de ses sociétés à Chypre (Research & Development) pour la Russie en novembre 1996. Début 1997, nous retrouvons des produits aux USA, UK et une proposition émanant de lui circule au Moyen-Orient139 ».

« Monsieur Martin »

J’ai assisté à une réunion de travail avec Maryse Awwad, une employée de Fitra. Elle a été très précise et elle a décrit les circuits qu’il y avait eu au fil du temps au départ de Fitra. Pour la première fois, j’ai pu mettre ensemble les éléments du puzzle entre M. Martin Rechberger, Scapa, Callaway, Camasa, Alvan, Nekrasov. Maryse Awwad faisait référence à M. Rechberger par son prénom Monsieur Martin140 ».

Cheminement et transmission des commandes russes

Selon les instructions de ses mandants de Paris et de Moscou, Martin Rechberger prépare à Bâle les commandes russes sur le papier à entête de différentes sociétés : Scapa Trading et Callaway Trading, sociétés-écrans créées avec l’appui de L’Oréal dans le paradis fiscal des Îles Vierges Britanniques (Arbat Prestige/Nekrasov, Camasa-Moscou), ou encore Alvan Trading (filière Arbat Prestige).

Martin Rechberger envoyait les commandes russes par le fax de Parbeauté à Bâle, à Fitra International Ltd à Dubaï, qui les relayait à Parmobel à Dubaï où elles entraient alors dans le périmètre comptable de L’Oréal.

Guillaume Sanchez:

… il envoie sa commande depuis une société des Iles Vierges Britanniques, à partir du fax de Parbeauté/Samnaun. Il discute le prix, les quantités, etc.141 »

Olivier Carrobourg:

Maryse Awwad nous a expliqué qu’en 1997, Rechberger utilisait la société Scapa, localisée aux British Virgin Islands, pour approvisionner deux circuits, Alvan (filière Nekrasov) et Camasa.

En 1998, M. Rechberger utilisait alors la société Callaway, située aux British Virgin Islands, pour alimenter le circuit Camasa. Quant au circuit Alvan, il se faisait directement au départ de Dubaï ou de Sharjah. Après la prise des produits sous douane en Belgique, uniquement le circuit Alvan a été poursuivi en ligne directe de Dubaï. Pour 1999, il en a été de même, uniquement le circuit Alvan au départ de Dubaï142 ».

Cascades de facturations

Agissant en tant que fiduciaire suisse pour Vladimir Nekrasov ou pour Camasa-Moscou, Martin Rechberger réalisait, sans quitter son bureau de Bâle, des cascades de facturations en aval de la chaîne de valeur, afin de blanchir les énormes profits dégagés par le marché noir sortis clandestinement de Russie.

La cascade de facturations révélée lors de la « Saisie de Bruxelles » en fournit un exemple éloquent.

Cascade de facturations – « Saisie de Bruxelles »

Le 20 mars 1998, les douanes belges saisissent 6.5 tonnes de produits PBI transitant à l’aéroport de Bruxelles entre Dubaï et Moscou.

Les documents révélés lors de cette saisie permettent de se faire une idée de la rentabilité du marché noir russe pour les partenaires russes de L’Oréal – dans ce cas, une majoration de 52.67%.

Circuit Camasa-Moscou
Commande du 12 mars 1998
Majoration % Total
USD
De L’Oréal à Parmobel, Dubaï   191’293.19
De Parmobel (Dubaï) à Fitra International Ltd, Irlande (Groupe Chalhoub) + 81.81% 349’262.58
De Fitra International Ltd à Callaway Trading, Tortola, Îles Vierges Britanniques +29.80% 453’249.18
De Callaway Trading à Hillbrook Services Ltd, Tortola, Îles Vierges Britanniques -- 453’240.12
De Hillbrook Services à Global Cosmetics
International (N.Y., USA)
+17.64% 533’212.90

 La différence entre le montant de USD 349’262.58 facturé par Parmobel à Fitra International Ltd et celui de 533’212.90 facturé à Hillbrook (filière Camasa) est de USD 183’950.32, soit une majoration de 52.67% en faveur de bénéficiaires non-identifiés à ce jour.

  • Cette cascade de facturations a été entièrement pilotée par Martin Rechberger, sans qu’il ait à quitter son bureau de Bâle. Il s’agit-là d’un exemple caractéristique des services qu’il rendait à la demande de L’Oréal pour les opérateurs du marché noir russe.
  • La majoration de 29.80% figurant au tableau est surprenante car le contrat de prestation de service entre Parmobel et Fitra stipule que Fitra n’a aucun droit sur les produits, qui sont et restent la propriété de Parmobel. Qui l’a donc décidée ? À qui bénéficie-t-elle ?

Aux ordres de Paris et de Moscou

  • Martin Rechberger ne pouvait pas agir sans le feu vert de Paris (Serge Guisset) et des opérateurs du marché noir russe à Moscou. 
  • Il se rendait fréquemment à Paris pour y recevoir les instructions de Serge Guisset, responsable de la gestion au quotidien du marché noir russe. Son arrogance suscitait de vives critiques de la part des dirigeants de PBI.
  • Il servait d’interface avec Moscou (Vladimir Nekrasov et, jusqu’en mars 1998, Claudine Kawiak) - pour activer les cascades de facturations qui leur permettaient de faire leur marge à l’extérieur  (Me Jean-Marie Degueldre).
  • Il réceptionnait une partie des fonds sortis illégalement de Russie pour payer les livraisons de PBI sur le marché noir russe.
  • Il assurait le suivi administratif et comptable, la ventilation des paiements aux parties prenantes du marché noir russe, toujours selon les instructions de PBI et de Moscou.

138 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.

139 Guillaume Sanchez, Risque de diversion Moyen-Orient, cf.

140 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.

141 Guillaume Sanchez, Risque de diversion Moyen-Orient, 3 avril 1997, cf.

142 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.