Tout était décidé et dirigé par L’Oréal et PBI à Paris
Dans les écritures de ses avocats, L’Oréal attribue le marché noir russe, dont elle n’a jamais contesté l’existence, à la défaillance de certains employés de PBI et du rôle joué par Parmobel.
Or, les recherches menées par Temtrade, les dépositions des principaux dirigeants de L’Oréal et de PBI, certains témoignages de première main… prouvent tous que le marché noir russe de L’Oréal avait été décidé, organisé, dirigé et administré au plus haut niveau du Groupe et de PBI à Paris.
Principaux dirigeants concernés:
Management Groupe
- Lindsay Owen-Jones, président-directeur général de L’Oréal au moment des faits
- Gilles Weil, vice-président de L’Oréal et directeur général de PBI, président du conseil d’administration de Parmobel143
- Jean-Yves Frolet, gérant de L’Oréal et directeur général de PBI
- Pascal Castres Saint-Martin, directeur général adjoint, vice-président de la direction générale de l’administration et des finances de L’Oréal, administrateur de Parmobel
- Pierre Simoncelli, directeur juridique de L’Oréal, administrateur de Parmobel.
Direction PBI
- Gérard Guyot-Jeannin, directeur général International, administrateur de Parmobel
- Serge Guisset, directeur, Zone Moyen-Orient et Pays de l’Est, administrateur de Parmobel
- Pierre Cabane, directeur financier
- Olivier Carrobourg, directeur administratif et financier de PBI (jusqu’en 1998), ensuite directeur financier de Parmobel à Dubaï.
PBI Paris viole l’exclusivité de Temtrade dès 1995
La direction de PBI à Paris (Serge Guisset) a accepté, en 1995, une proposition de Patrick
Chalhoub, directeur général du Groupe Chalhoub et actionnaire minoritaire de Parmobel consistant à
- créer deux circuits d’alimentation du marché sauvage de la parfumerie en Russie à partir de Dubaï, l’un par le Liban (Socodile), l’autre par la Syrie (Massoud), pour récupérer les marges des agents sur les achats massifs de « touristes » russes au Moyen-Orient et contrôler les prix et les quantités.
→ Ces deux circuits violaient les contrats d’exclusivité Temtrade.
Marché noir russe ponctuel et marché noir russe institutionnel
Marché noir russe « ponctuel » : 4e trimestre 1996
La décision de créer un marché noir « ponctuel » au 4e trimestre 1996 pour combler le retard du chiffre d’affaires annuel, a été prise personnellement par Jean-Yves Frolet, gérant (Groupe L’Oréal), et N° 2 de PBI : « Dans le cas de l’émergence de la demande russe, [Georgantas]144 a été sollicité par des grossistes russes. M. Georgantas s’est donc tourné vers M. Frolet qui lui a répondu oui car nous avions des besoins de chiffre…145 ».
Marché noir « institutionnel » : septembre 1996 – décembre 1999
La direction générale de PBI a décidé en septembre 1996 de créer un marché noir en Russie à l’envergure et aux objectifs beaucoup plus ambitieux. Les préparatifs ont débuté par une réunion de Gilles Weil, Serge Guisset, Patrick Chalhoub à Dubaï en septembre 1996 :
Le marché noir « institutionnel » : préparé dès septembre 1996
La direction générale de PBI à Paris a organisé elle-même le système très sophistiqué du marché noir russe : une structure dirigée de Paris chargée de diriger l’activité de relais à Dubaï, Bâle et Moscou.
À Dubaï, L’Oréal a mis au point un tour de passe-passe assez pervers pour dissimuler son intervention directe sur le marché noir russe.
À Bâle, elle a mis sur pied une plateforme administrative et financière pour répondre aux desiderata des opérateurs mafieux du marché noir et financer certains aspects de ce marché.
En Russie, L’Oréal a recruté deux grossistes/distributeurs contrôlés par les parrains les plus redoutables de la mafiya russe : Arbat Prestige (dirigée par Vladimir Nekrasov, contrôlée par Shabtaï von Kalmanovich puis Semyon Mogilevich), et Camasa-Moscou
(dirigée par Andreï Bierling et contrôlée par Oleg Berezovksi):
A cette époque, c’est-à-dire à fin 1996, Serge Guisset m’a dit que M. Patrick Chalhoub l’avait introduit auprès d’un nouveau distributeur russe qui s’appelait Vladimir Nekrasov, via l’intermédiaire de Claudine Kawiak… Il m’a précisé que ce nouveau circuit qui allait faire intervenir Patrick Chalhoub, Claudine Kawiak et Vladimir Nekrasov, allait donc remplacer le circuit Georgantas146 afin d’alimenter le marché russe. Afin de laisser des marges en Suisse, M. Guisset m’a aussi précisé qu’un certain M. Rechberger allait intervenir. Martin Rechberger est en fait un client de l’entité Duty Free Europe. Ce circuit devait se mettre en place dès 1997147 ».
Ce circuit a été débuté en janvier 1997.
Parmobel : Dubaï… sur Seine
Le courant d’affaires du marché noir russe a été dissimulé dans celui de Parmobel, filiale à Dubaï que L’Oréal contrôlait à hauteur de 60%. L’actionnaire minoritaire, le groupe Chalhoub également basé à Dubaï, a bien voulu servir de prête-nom pour masquer le rôle direct de L’Oréal sur le marché noir russe :
« Pourtant, la société Parmobel n’avait juridiquement pas vocation à opérer, directement ou indirectement, sur le marché russe148 ».
L’Oréal était majoritaire au conseil d’administration, avec six sièges sur dix. Ces six administrateurs de Parmobel étaient tous basés à Paris :
- Quatre appartenaient à la direction du Groupe : Gilles Weil, qui avait la présidence du conseil d’administration, Pascal Castres Saint-Martin, Pierre Simoncelli et Bruno Wirth149.
- Deux appartenaient à la direction de la Division Luxe : Gérard Guyot-Jeannin et Serge Guisset.
L’actionnaire minoritaire (Groupe Chalhoub), avait quatre sièges : Michel Chalhoub, vice président ; Antoine Chalhoub, Patrick Chalhoub et Mme Widad Chalhoub.
Le management de PBI intervenait directement dans la conduite du marché noir russe
La direction générale de PBI:
- validait les volumes, le directeur financier, les prix des produits, en fonction des besoins financiers de la division150 .
- a suivi à la lettre les recommandations du conseil de L’Oréal, Me Jean-Marie Degueldre, qui justifiait l’organisation d’un marché noir en Russie par des arguments économiques et faisait l’impasse sur les contrats d’exclusivité légalement valables en cours.
- a exaucé le souhait de Vladimir Nekrasov de nouer à moyen terme une alliance officielle avec L’Oréal en Russie, que Patrick Chalhoub a transmis à PBI dans son mémo du 22 mai 1997151. Elle devait adopter la quasi-totalité des recommandations exprimées dans ce mémorandum.
- a octroyé l’exclusivité pour la Russie à Star Beauté, émanation du crime organisé russe (filière Nekrasov/Arbat Prestige) le 19 juin 1998. L’un des articles de ce contrat indiquait que les contrats Temtrade allaient être résiliés plus de six mois avant que la direction de Temtrade n’en soit informée152.
- a approuvé une exclusivité de 10 ans, durée tout à fait extraordinaire, L’Oréal signant normalement des contrats de trois ans. Cette exception n’a pas pu ne pas être approuvée par Pierre Simoncelli, directeur juridique du Groupe et administrateur de Parmobel : « Je pense même que la direction juridique du groupe les couvrait également [Serge Guisset et plus largement PBI] au vu de la longévité du contrat accordé plus tard à Mme Kawiak, agent exclusif de L’Oréal Luxe en Russie153 ».
- a libéré Star Beauté des obligations de la Distribution sélective (Star Beauté n’avait pas de magasins) par une convention de séquestre signée également à Paris le 19 juin 1998, par Gilles Weil154.
- a consenti, sans aucune obligation contractuelle de sa part, deux paiements de respectivement 26 millions et 3 millions d’euros pour la résiliation anticipée du contrat Star Beauté en 2004 des bénéficiaires dont elle est la seule à connaître l’identité.
« PBI était informée à tout moment »
Les dirigeants de PBI étaient à la tête d’une structure fortement hiérarchisée dans laquelle l’information remontait en permanence de la base. Exemples:
- « Après la mise en place du stock initial de produits… Dubaï passait directement ses commandes d’approvisionnement auprès des usines. PBI était informée à tout moment... M. Dufrêne, directeur des opérations au service logistique de PBI155, servait d’interface entre Parmobel et les affaires de marque pour s’assurer que les usines produiraient dans le temps les produits demandés pour le marché russe156 ».
- Gilles Weil et Serge Guisset recevaient les rapports détaillés de Parmobel: « Jean-Claude Bonnefoi, dans tous ses rapports, notamment ses rapports annuels, faisait état des chiffres d’affaires russes. C’étaient des rapports qui étaient adressés à la fois à la direction de PBI et à nos partenaires, c’est-à-dire la famille Chalhoub157 ».
- Gilles Weil a reçu en avril 1996 un rapport de Jean-Claude Bonnefoi sur le marché parallèle russe dont les autres destinataires étaient Gérard Guyot-Jeannin, Serge Guisset, Guillaume Sanchez, Jean-Yves Frolet158. Mais Gilles Weil n’ [a] pas souvenir de cette information159.
- Gilles Weil, Gérard Guyot-Jeannin et Jean-Claude Bonnefoi ont reçu copie du rapport intitulé Risque de diversion Moyen-Orient, adressé par Guillaume Sanchez, directeur de la protection des marchés, à Serge Guisset le 3 avril 1997. « Mon rapport a été reçu dans la plus parfaite indifférence, personne ne m’en a jamais parlé160 ».
- Gilles Weil et Pascal Castres Saint-Martin ont appliqué toutes les recommandations de la note de Me Jean-Marie Degueldre du 6 janvier 1998 dont ils étaient les destinataires.
Le président-directeur général de L’Oréal savait
Dans sa déposition, Lindsay Owen-Jones, PDG du Groupe L’Oréal et supérieur hiérarchique direct de Gilles Weil, a déclaré (cf.) :
J’étais tenu informé de l’activité de M. Weil très régulièrement. Nous avions formalisé des réunions de l’ensemble de notre équipe de direction tous les mois. J’avais également avec lui des contacts informels au moins tous les 15 jours ».
Il serait surprenant qu’il n’ait pas eu connaissance du marché noir russe
- après le 6 janvier 1998, date de la note que le conseil de L’Oréal, Me Jean-Marie Degueldre, a adressée le 6 janvier 1998 à deux membres de son état-major : Gilles Weil et Pascal Castres-Saint-Martin
ou
- au plus tard le 30 janvier 1998, date de la signature de l’Avenant aux contrats Temtrade, lorsque PBI a versé à Temtrade 20 millions de francs français à titre d’indemnités (environ 3 millions d’euros). Le paiement d’une somme de cette importance ne peut pas ne pas avoir eu lieu sans qu’il ait été au courant.
Tout le monde était aux ordres de Paris
Guillaume Sanchez à Serge Guisset, 3 avril 1997:
« Comme le relève M. Bonnefoi (cf. rapport de janv. 97), « Parmobel ne joue qu’un rôle de fournisseur sans participer à la stratégie d’approche de la Russie. »
Patrick Chalhoub à Serge Guisset, 22 mai 1997, après son voyage à Moscou:
« En conclusion, après avoir établi un état des lieux aussi précis que possible avec les interlocuteurs compliqués et mystérieux, il vous appartient de déterminer ce que vous souhaitez faire et de nous le soumettre. Nous sommes exrêmement neutres à ce sujet et nous ne ferons qu’appliquer ce que vous aurez défini. »
Vladimir Nekrasov à Patrick Chalhoub, 30 mai 1997, suivi de la visite que lui a faite Patrick Chalhoub:
« Si nous sommes optimistes sur le développement des marques concernées il n’en demeure pas même [sic] que la réalisation de ce plan ne peut se faire qu’avec votre contrôle et celui de la maison–mère. »
Olivier Carrobourg et le rôle du directeur financier de PBI:
« … [M. Cabane] en personne fixait le niveau de prix (tandis que la direction de la division validait les volumes), ces informations, transmises à M. Guisset, puis à moi-même, étaient ensuite adressées à Parmobel qui servait de base avancée de logistique…161 ».
143 Filiale de L’Oréal à Dubaï. Actionnaire minoritaire (40%, puis 25%) : Groupe Chalhoub, Dubaï.
144 Agent pour les duty free en Grèce.
145 Serge Guisset, Procès-verbal, cf. Jean-Yves Frolet est décédé en 1997.
146 Marché noir russe ponctuel au quatrième trimestre 1996.
147 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.
148 Serge Guisset, Procès-verbal, cf. La filiale avait pour vocation de travailler sur les marchés moyen-orientaux hors taxes dont le Groupe Chalhoub avait l’exclusivité.
149 Directeur économique de la direction générale de l’administration et des finances du Groupe L’Oréal.
150 Etude du Scellé N° Olivier Carrobourg DEUX (Notes du dossier « Corbeille » de son ordinateur), cf.
151 Patrick Chalhoub, Marché russe, 22 mai 1997.
152 Reproduction intégrale du Contrat Star Beauté, cf.
153 La pratique de L’Oréal était de s’engager par des contrats de 3 ans. Citation : Olivier Loustalan, Procès-verbal, cf.
154 Reproduction intégrale de la Convention de séquestre, cf.
155 Basé à Paris.
156 Olivier Carrobourg, Procès-verbal, cf. et cf.
157 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.
158 Jean-Claude Bonnefoi, Procès-verbal, cf. et cf.
159 Gilles Weil, Procès-verbal, cf.
160 Guillaume Sanchez, Procès-verbal, cf.
161 Etude du Scellé N° Olivier Carrobourg DEUX (Notes du dossier « Corbeille » de son ordinateur), cf.