Préface
Ce site internet documente le marché noir que la direction générale de L’Oréal a organisé en Russie, Biélorussie et Ukraine, pour les produits de sa Division Luxe (PBI) : Lancôme, Guy Laroche, Ted Lapidus, Cacharel, Fidji, Anaïs Anaïs… de 1995 à 2000.
Pour organiser ce marché noir, le top management de L’Oréal a recouru directement aux services du crime organisé russe (mafiya) contrôlés par quelques-uns de ses parrains les plus « efficaces » : Shabtaï von Kalmanovich (assassiné en 2009), Semyon Mogilevich (longtemps placé sur la liste des criminels les plus recherchés (Most Wanted) du FBI), Vladimir Nekrasov, le « milliardaire des cosmétiques », Viktor Bout le « marchand de la mort »…
Ce site est unique en ce qu’il détaille concrètement un cas, emblématique, de collaboration symbiotique (joint venture) entre une société phare du CAC 40 et le crime organisé russe – une collaboration propre à interpeller.
Le marché noir russe de L’Oréal n’a pas été un simple avatar, mais un effort concerté, réfléchi pour s’assurer un courant d’affaires à long terme, institutionnalisé, totalement intégré aux objectifs financiers de la Division Luxe. A cet effet, la plupart de ses managers a adopté sans trop d’états d’âme les business practices propres aux opérateurs mafieux de ce marché noir.
L’Escale, première chaîne de parfumeries franchisées de Russie
Or, plusieurs années auparavant, en 1992, L’Oréal avait octroyé à Temtrade1 l’exclusivité des mêmes marques pour ces trois pays. La société suisse y finançait donc, entièrement à sa charge, le déploiement de la Distribution sélective2. Elle créa ainsi la première chaîne de parfumeries franchisées à voir le jour en Russie qui comptait, en 1997, 66 parfumeries agréées à l’enseigne de L’Escale, exclusivement réservées aux marques de la Division Luxe jusqu’au début de 19983, et que l’ampleur inouïe du marché noir allait frapper de plein fouet.
Corpus delicti
Un an après le début du marché noir, l’impact du marché noir sur la Distribution sélective est tel qu’il amène L’Oréal et Temtrade à conclure un Avenant aux contrats d’exclusivité (30 janvier 1998) censé rétablir des conditions de marché plus normales et contenir le marché noir par un effort conjugué des deux sociétés.
Mais l’Avenant resta sans aucun effet. De plus, pour L’Oréal, il réglait définitivement tout contentieux avec Temtrade au sujet du marché noir. Et L’Oréal ne donna jamais suite aux propositions de Temtrade pour le freiner, à défaut de le stopper.
S’il était impossible qu’un marché noir de cette importance n’impliquât pas un certain degré de complicité avec L’Oréal, Janez Mercun ne s’attendait pas à découvrir ultérieurement l’impensable – que ce marché noir avait été voulu, organisé et dirigé par L’Oréal au plus haut niveau et par les interlocuteurs mêmes avec qui il avait négocié et signé l’Avenant de janvier 1998 !
L’Avenant avait donc été négocié sur des prémisses mensongères. Le litige entre les deux sociétés se focalisa sur son annulation pour dol en raison de son caractère douteux. Mais la stratégie de L’Oréal s’avéra victorieuse en réussissant à bloquer l’information par une tactique d’artifices de procédure purement formels.
En dix-huit ans de procédure, la Justice française n’a donc pas été en mesure de se prononcer sur le fond de cette affaire.
L’Oréal a toujours refusé de produire les documents qu’elle était pourtant contractuellement obligée de fournir en vertu du droit suisse, celui-ci étant applicable à l’Avenant litigieux, et la Justice française n’a pas insisté. Il est déconcertant de constater que le seul cas où le droit suisse a été appliqué par le Tribunal de commerce l’a été lorsqu’il était favorable à L’Oréal.
La Justice n’a pas insisté non plus lorsque Lindsay Owen-Jones, PDG de L’Oréal au moment du marché noir russe organisé par la Société qu’il présidait, n’a pas fourni les pièces comptables qu’il était censé apporter lors de son interrogatoire par la Police judiciaire, qui les lui avait pourtant demandées dans sa convocation.
Un tournant capital
Si, au plan judiciaire, L’Oréal a réussi à bloquer l’information, ses manœuvres ont échoué sur un point, capital: discréditer Janez Mercun, PDG de Temtrade. La Cour de cassation par arrêt du 24 mai 2017 a cassé la condamnation à une amende civile de 3000 euros « pour procédure abusive reposant sur une intention de nuire », et le Tribunal correctionnel de Paris a prononcé le 28 novembre 2017 la relaxe de Janez Mercun « pour accusation de dénonciation calomnieuse. Ni le Procureur de la République ni L’Oréal n’ont fait appel. Ce jugement est définitif ».
La quasi-totalité des documents présentés ici a été soumise aux autorités judiciaires françaises lors des diverses procédures engagées à l’encontre de L’Oréal par Temtrade et le soussigné. Les autorités judiciaires les ont acceptés malgré les réserves exprimées par L’Oréal sur certains d’entre eux.
Huit procès-verbaux
Ce récit cite abondamment les procès-verbaux résultant de l’audition, en 2006-2008, de huit dirigeants de L’Oréal par la Police Judiciaire, Direction centrale de la Police Judiciaire, Sous-Direction de la Lutte contre la Criminalité Organisée et la Délinquance Financière, Division Nationale des Investigations Financières. Il s’agit de MM.
- Guillaume Sanchez, directeur du Département de la protection des marchés, PBI, PV 06/00053/06, 1er décembre 2006
- Olivier Loustalan, directeur de la Zone Pays de l’Est, PBI, PV 06/00053/87,
13 décembre 2006 - Olivier Carrobourg, directeur administratif et financier de PBI, directeur financier de la filiale Parmobel à Dubaï – PV 06/0053/19, 25 janvier 2007 – PV Scellé Carrobourg UN (Témoignage/Retranscription d’une cassette audio) – PV Scellé Carrobourg Deux (Notes du dossier « Corbeille » de son ordinateur Fujitsu-Siemens)
- Lindsay Owen-Jones, président du conseil d’administration de L’Oréal, PV 06/00053/25, 21 février 2007
- Serge Guisset, directeur général adjoint de PBI, membre du conseil d’administration de Parmobel, PV 06/00053/48, 26 septembre 2007
- Jean-Claude Bonnefoi, directeur de Parmobel – PV 06/00053/89, 17 mars 2008
- Gérard Guyot-Jeannin, directeur général international de PBI de 1991 à 2000, membre du conseil d’administration de Parmobel, PV 06/00053/90, 18 mars 2008
- Gilles Weil, vice-président du Groupe L’Oréal et directeur général de PBI, président du conseil d’administration de Parmobel, PV 06/00053/104, 3 avril 2008.
Nous reprenons aussi largement le témoignage d’Olivier Carrobourg4 lors du procès que la société suisse Camasa SA avait intenté à Lausanne contre L’Hebdo, hebdomadaire de Suisse romande. La retranscription de ce témoignage a été acceptée par les autorités judiciaires françaises dans le cadre des procédures engagées par Temtrade et le soussigné.
L’Hebdo avait publié le 12 septembre 2002 un article intitulé L’Oréal, les filières obscures du succès5, qui présentait le marché noir de L’Oréal en Russie et mentionnait le rôle qu’y a joué le bureau de la société tessinoise Camasa à Moscou. Le litige engagé par Camasa a été réglé à l’amiable.
Nous avons également procédé à une analyse fouillée de l’implication de Pascal Castres Saint-Martin, directeur général adjoint, vice-président de la direction générale de l’administration et des finances du Groupe L’Oréal, dans le marché noir de L’Oréal en Russie, ainsi que d’une Note du conseil de L’Oréal, Me Jean-Marie Degueldre, avocat au Barreau de Paris adressée à Gilles Weil, vice-président de L’Oréal et directeur général de la Division Luxe (PBI) et à Pascal Castres Saint-Martin: ce document capital justifie l’organisation d’un marché noir par des raisons économiques et présente une série de conseils stratégiques que le management de L’Oréal au plus haut niveau a suivis à la lettre.
Précisons enfin que la société Temtrade est actuellement en cours de liquidation par suite de cessation volontaire d’activité.
Janez Mercun
Juin 2018
1 La société suisse Temtrade a été le distributeur et l’agent exclusif de la Division Luxe de L’Oréal de 1974 à fin 1999. Le courant d’affaires dégagé par son activité dans ce qui était alors l’URSS et ses pays satellites (jusqu’à l’effondrement des pays communistes entre la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la liquidation formelle de l’Union Soviétique le 20 août 1991) a été tel qu’il a permis à L’Oréal de financer son expansion mondiale (cf. Citation de Robert Salmon) et de
« construire sa filiale Cosmair aux Etats-Unis » (Opinion de Michel Somnolet, ancien vice président du Groupe L’Oréal en charge de l’administration et des finances (N° 2 du Groupe) - communication personnelle).
2 Stratégie de marketing fondée sur une limitation volontaire de points de vente luxueusement aménagés afin de renforcer l’image exclusive et prestigieuse des marques et des produits. Cf.
3 À la demande insistante de PBI, Temtrade ouvrit, au début de 1998, ses parfumeries à l’enseigne de L’Escale aux marques Chanel, Christian Dior, Clarins, Clinique, Estée Lauder, Guerlain, Kenzo et Nina Ricci. Elles continuèrent d’en être les « distributeurs agréés » en Russie, Ukraine et Biélorussie après la rupture des contrats avec L’Oréal le 31 décembre 1999. Temtrade vendit ses magasins en 2003.
4 Ce Témoignage constitue l’essentiel du Scellé Carrobourg Un, Cf. et Cf.
5 Article reproduit intégralement, Cf.