Mécanismes du marché noir russe – Moscou

Un contact privilégié : Claudine Kawiak

Cette ancienne directrice de la marque Helena Rubinstein (société rachetée par L’Oréal en 1988), avait des relations suivies avec PBI depuis 1995 en qualité d’agente indépendante et l’avait sensibilisée au potentiel du marché noir russe.

Elle était l’unique employée de Hermitage SA, société suisse qu’elle avait fondée en 1994 dans le canton suisse de Fribourg avant de la transférer dans le paradis fiscal du canton de Zoug. Cette entité émanait directement de la filière mafieuse de Vladimir Nekrasov (Arbat Prestige/Alvan).

A fin 1996, Serge Guisset m’a dit que Patrick Chalhoub l’avait introduit auprès d’un nouveau distributeur russe qui s’appelait Vladimir Nekrasov, via l’intermédiaire de Claudine Kawiak.... Il m’a précisé que ce nouveau circuit… allait faire intervenir Patrick Chalhoub, Claudine Kawiak et Vladimir Nekrasov... afin d’alimenter le marché russe... Ce circuit devait se mettre en place dès 1997218 ».

A Moscou, ce « nouveau circuit » comprenait deux filières contrôlées chacune par les parrains les plus efficaces de la mafiya russe :

  • Arbat Prestige, dirigé par Vladimir Nekrasov (2/3 du chiffre d’affaires du marché noir russe de PBI jusqu’en mars 1998, ensuite 100%)

Nekrasov … est associé à des gens qui ne passent pas pour des parangons de vertu : C. Kawiak…219 ».

  • Camasa-Moscou, dirigée par Andreï Bierling, qui livrait les grossistes Kurs et Piccom (1/3 du chiffre d’affaires du marché noir russe jusqu’en mars 1998, lorsque PBI décide mettre fin à ce courant d’affaires après la « Saisie de Bruxelles »). Camasa-Moscou était contrôlée par Oleg Berezovski ; ses bureaux se trouvaient dans la « forteresse » du célèbre oligarque.

Commandes

Les commandes pour ces deux filières étaient coordonnées par Claudine Kawiak, que L’Oréal (PBI) avait consultée pour élaborer un assortiment spécial de produits pour le marché noir russe, puis directement par Vladimir Nekrasov en étroit contact avec Dubaï et Bâle, lorsque Arbat Prestige fut le seul opérateur de L’Oréal sur le marché noir russe.

Les commandes coordonnées par Caudine Kawiak étaient formellement préparées à Bâle par Martin Rechberger, qui les envoyait par fax à Dubaï, où Fitra les communiquait à Parmobel.

Importation en Russie

  • Dédouanements « créatifs » à l’arrivée. Normalement, l’importateur en Russie doit, à l’arrivée de la marchandise en Russie, s’acquitter des taxes douanières et de la TVA en aval de toute la chaîne de distribution (52% en tout). Des rallonges spéciales avaient donc été prévues dans la structuration des prix pour faciliter les opérations dans les rares cas d’importation et de dédouanement dans des conditions normales.
  • Pas de déclaration en douane ni taxes douanières ni TVA dans l’aéroport utilisé par les avions de Viktor Bout arrivant de Dubaï.

Distribution

Le marché sauvage de la parfumerie en Russie – le « circuit des kiosques » pour reprendre la terminologie des dirigeants de L’Oréal – présentait les caractéristiques suivantes :

  • Hangars, magasins de type cash & carry, kiosques vendant cigarettes, CD, DVD... Arbat Prestige a ouvert son premier magasin en 1998 et n’en avait que 2 lorsque son contrat exclusif avec L’Oréal débuta le 1er janvier 2000.
  • Diverses parfumeries ne présentant aucune garantie quant à l’intégrité des produits.
  • Prix inférieurs de 45% en moyenne à ceux des parfumeries agréées de Temtrade, avec des différences allant jusqu’à 60% pour certaines références.

Originaux fréquemment mélangés à des contrefaçons :

Il y avait quatre versions de Climat : l’originale, que l’on offrait à sa maîtresse. La contrefaçon, idéale comme pot-de-vin, conditionnée dans un flacon authentique fourni par un cadre de L’Oréal. Et deux imitations, que l’on réservait à son épouse légitime. Le flacon authentique contenant l’imitation était fourni par un dirigeant de PBI220 ».

  • Risques de diversion : la filière Camasa-Moscou n’hésitait pas à revendre dans des pays tiers, notamment aux Etats-Unis, les produits spécifiquement réservés au marché noir russe. C’est pour mettre fin à cette pratique que PBI a mis en scène la « Saisie de Bruxelles ».

218 Olivier Carrobourg, Témoignage, cf.

219 Guillaume Sanchez, Risque de diversion Moyen-Orient, cf.

220 Communication personnelle.