L’Oréal octroie l’exclusivité du marché russe à Star Beauté, émanation du crime organisé russe – 19 juin 1998

Le 19 juin 1998, PBI octroie l’exclusivité du marché russe pour dix ans dès le 1er janvier 2000 à Star Beauté, société affiliée au circuit Arbat Prestige/Nekrasov.

Contrôlés par la mafiya russe, les opérateurs du marché noir russe de L’Oréal sont ainsi promus agents officiels en Russie de la prestigieuse société française.

Les deux principaux responsables de la Division Luxe de L’Oréal, Gilles Weil et Gérard Guyot-Jeannin, étaient à la manœuvre :

  • Gérard Guyot-Jeannin, bras droit de Gilles Weil, a signé le contrat d’exclusivité,
  • Gilles Weil a signé la convention de séquestre libérant Star Beauté des obligations de la Distribution sélective46. N’ayant aucun magasin, Star Beauté obtenait ainsi le feu vert du patron de la Division Luxe de L’Oréal pour en vendre les marques réservées à la Distribution sélective dans des kiosques, parfumeries de second ordre, magasins cash & carry et autres hangars, à même la rue.
    → En accordant l’exclusivité du marché russe à une société contrôlée par Arbat Prestige/Alvan Trading, L’Oréal répondait au souhait de Vladimir Nekrasov qui avait fait part à Patrick Chalhoub de son « espoir de pouvoir un jour représenter PBI ou s’associer à PBI47 ».

Star Beauté : fiche d’identité

  • Contrôlée par Hermitage SA domiciliée à Zoug (51%) et Colfield (49%) dans les Îles Vierges Britanniques, Star Beauté était dirigée par Claudine Kawiak et Malik Youyou. Hermitage SA et Colfield étaient à leur tour les filiales d’Alvan Trading (filière Nekrasov), qui avait des bureaux à Moscou, Londres et Dubaï. Alvan Trading et Arbat Prestige avaient les mêmes numéros de téléphone et de fax à Moscou.
  • Star Beauté n’avait pas d’existence légale lorsque ce contrat d’exclusivité a été signé avec L’Oréal. Elle n’a été légalement constituée à Londres que cinq semaines plus tard, le 24 juillet 1998, par Malik Youyou, « personnage controversé48 » selon une source proche de l’industrie horlogère, retrouvée en 2015 sur Internet.

Une validité exceptionnelle de 10 ans

PBI s’est engagée envers Star Beauté pour 10 ans au lieu de trois, comme elle le faisait normalement avec ses agents.

Je pense même que la direction juridique du groupe les couvrait également [Serge Guisset et ses collègues travaillant pour le marché noir russe] au vu de la longévité du contrat accordé plus tard à Mme Kawiak, agent exclusif L’Oréal luxe en Russie49 ».

→ Cette validité de 10 ans, tout à fait inhabituelle, pourrait suggérer que la résiliation anticipée du contrat, au prix fort, avait été programmée dès la signature du contrat en 1998. Cf. « Résiliation anticipée du contrat Star Beauté ».

Particularités juridiques

  • Le contrat d’exclusivité impose les règles strictes de la Distribution sélective dans l’Art. VI (surtout §3) et les Annexes I, II et III.
  • La convention de séquestre ultrasecrète signée le même jour stipule, grosso modo, 
    que l’art. VI de ce contrat ne s’appliquera pas. La procédure d’infraction énoncée par l’art. XII §2 est donc neutralisée si Star Beauté vend à des détaillants ne répondant pas aux critères de sélectivité. La convention neutralise également la clause de l’art. XIII §3 al. 2 (résiliation sans indemnité conformément aux dispositions de l’art. XII).
  • Le point 2 du contrat d’exclusivité précise que « PBI a concédé à la société Temtrade les droits de distribution de la marque Lancôme pour la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine ; le contrat liant PBI à la société Temtrade prendra fin le 31 décembre 1999 ».
    → Cette indication date du 19 juin 1998 mais ce n’est que six mois plus tard, le 28 décembre 1998, que PBI a informé Temtrade que ses contrats ne seraient pas renouvelés.
    → Sans attendre, Star Beauté répand dès juillet 1998 l’information selon laquelle le contrat d’exclusivité de PBI allait changer.
  • En septembre 1998, Janez Mercun rencontre Pascal Castres Saint-Martin, vice-président de L’Oréal en charge de l’administration et des finances, pour lui faire part de ses doléances au sujet du marché noir et l’informer que L’Oréal travaillait avec le crime organisé russe. Celui-ci l’écoute attentivement sans faire la moindre remarque d’importance. Pascal Castres Saint-Martin s’est référé à cette réunion dans une lettre à Janez Mercun datée du 16 avril 1999 : Lindsay Owen-Jones l’avait chargé de répondre au courrier qu’il avait reçu de Janez Mercun le 18 janvier 1999 :

Vous aviez souhaité me rencontrer le 9 Septembre 1998 pour m’exposer que vous déteniez des informations mettant en cause certains collaborateurs de PBI. Force a été de constater, lors de cet entretien que vos informations étaient des allégations gratuites, tant vous même que votre avocat n’ayant pu produire aucun commencement de preuve de faits que vous alléguiez. Concernant la question des importations parallèles, celle-ci a été réglée par la conclusion de l’Avenant en date du 30 janvier 1998 ».

 C’est en recevant cette lettre que Janez Mercun et Temtrade ont décidé d’attaquer L’Oréal en faisant appel à tous les moyens juridiques à leur disposition.

46 Obligations de la Distribution sélective: cf.

47 Patrick Chalhoub, Marché russe, 22 mai 1997.

48 « On commence à parler beaucoup du dossier Hermitage en Russie, puisque plusieurs « amis » du président Poutine sont liés à cette affaire, entre autres Malik Youyou, personnage controversé qu’on dit lié à l’ex-KGB [on ne prête qu’aux riches], qui a longtemps tenu en mains la distribution en Russie des marques de Richemont et de L’Oréal… sur un marché aussi libéré que la Russie post-communiste, toutes les aventures économiques restaient possibles et de véritables fortunes ont été amassées en quelques années, jusqu’à ce que les gestionnaires reprennent la main sur les flibustiers du luxe. C’est tout ce folklore digne d’un polar financier que révèle l’affaire Hermitage... »
http://www.businessmontres.com/les-sms-du-mardi/swatch-group-cartier-richemont-paragon-sincere-nick-hayek-hengdeli.

49 Olivier Loustalan, Procès-verbal, cf.